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Histoire sociale de l’Afrique Orientale, de la Mer Rouge et de l’Océan indien, XIXe-XXe siècles : archives, corps, subjectivités

Séance du 5 février 2016, de 14h à 17h, EHESS, Bâtiment Le France, salle du conseil B, R-1, 190-198 av de France, 75013 Paris

Temporalités et usages du passé

 Clelia Coret, doctorante IMAF- Université de Paris 1, L’histoire de l’histoire : retour sur les chroniques de Pate. Écriture de l’histoire et usages du passé au nord de la côte swahili au XIXe siècle

Résumé :
Au début du XXe siècle, plusieurs versions de la chronique de Pate voient le jour dont certaines sont publiées pour la première fois. Le statut de ces documents a par la suite fait l’objet d’importants débats parmi la communauté scientifique. D’abord considérés comme trop partisans de la dynastie au pouvoir dans la cité-État de Pate (les Nabahani), et donc insuffisamment fiables en tant que sources historiques, ils ont ensuite été réexaminés et reconnus comme un corpus documentaire crédible pour renseigner, d’une part, l’histoire de Pate et ses relations avec les autres cités-États swahili, et, d’autre part, les pratiques locales d’écriture de l’histoire. Toutefois, les questionnements autour de ces chroniques n’ont pas complètement pris en compte le contexte de production, voire de gestation, entamé au siècle précédent. Les chroniques semblent l’aboutissement d’un long processus d’écriture de l’histoire constitué d’ébauches et d’hésitations, formé par à-coups et tâtonnements. Des temps d’accélération s’observent au cours du sultanat de Witu (1862-1890), fondé par une faction des Nabahani ayant fuit Pate, et durant le bref épisode du protectorat allemand (1885-1890). Il s’agit de deux temps incontournables du « laboratoire » de fabrication des chroniques, dans la mesure où le passé y est régulièrement sollicité pour légitimer les revendications politiques et territoriales des Allemands et des Nabahani. L’histoire de l’histoire fait alors apparaître d’autres versions, oubliées, étouffées, presque effacées, mais dont certaines sont encore accessibles grâce aux archives allemandes.

 Samuel Sanchez, postdoctorant Université de Paris 7, Les murmures de la reine. Possessions et historicités dans le Nord-Ouest de Madagascar

Résumé :
Cette communication est un retour sur mon expérience de terrain, au cours de mon travail sur l’histoire des sociétés malgaches du Nord au XIXe siècle. Dans un objectif d’histoire sociale, l’abondance des sources écrites européennes permet d’établir une chronologie et d’amasser et dater de nombreuses données. Pourtant, la dimension sensible et vécue par les habitants des périodes étudiées n’apparait que fortuitement, et de manière détournée, à travers les sources écrites, produites la plupart du temps par des Européens de passage (coloniaux, marins, missionnaires) ou des agents de l’armée du Royaume de Madagascar. Comment donc dépasser le monopole de l’énonciation des faits passés, détenu par les bureaucraties européennes et malgaches ? Est-il possible de restituer le point de vue des acteurs malgaches du Nord au milieu du XIXe siècle ? Si oui, quelle méthode suivre ? La méthode de l’histoire orale peut s’orienter vers des formes actuelles et locales d’expression de l’histoire, toujours vivantes. Dans le Nord-Ouest de Madagascar, un des principaux vecteurs d’historicité communautaire reste les phénomènes de possession saha ou tromba. Les possédés incarnent des ancêtres prestigieux, généralement anciens souverains, et jouent un rôle important dans les milieux politico-religieux du Nord-Ouest.
Après avoir défini les différents types de possessions et leur rôle dans la société malgache, j’aborderai trois points :
Il s’agit d’abord de déterminer le poids des historicités locales dans l’historiographie. Les historiens de Madagascar se sont, depuis le XIXe siècle, appuyés sur des sources orales –souvent sans le dire explicitement- tirées des milieux monarchiques pour bâtir des chronologies et des généalogies de l’histoire de Madagascar. Il y a donc une histoire de l’histoire à faire, dont le socle est souvent l’oralité. Une lecture critique de l’historiographie permet d’analyser la construction d’un savoir historique bien plus connecté qu’il n’en a l’air à l’historicité propre aux milieux dynastiques malgaches (et en particulier à l’ancestralité).
Ensuite, je reviendrai sur mon expérience particulière et l’usage que j’ai fait d’un récit collecté à Nosy Be auprès d’une possédée royale (saha). Le témoignage d’une reine trépassée en 1845, par la bouche du medium, décrit de manière vivante et métaphorique l’arrivée des Français dans le Nord-Ouest de Madagascar. Que nous enseigne concrètement ce récit d’un point de vue historique ? Peut-on faire une histoire connectée de cette période à partir de ce type de manifestation ?
Enfin, je m’interrogerai sur les différents régimes d’historicités et de rapports au temps qui s’expriment à travers l’expérience de la possession. Quel est le rapport à l’histoire entretenu dans les milieux monarchiques malgaches, où l’ancestralité est un socle de compréhension du monde ? La relativité des temporalités incite à une réflexion sur le rapport au temps (et à l’histoire) dans un contexte de globalisation.

Modératrice : Elena VEZZADINI

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