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Les frontières racialisées de la littérature française. Contrôle au faciès et stratégies de passage

Soutenance de thèse de Sarah Burnautzki
Directeur de thèse, Jean-Loup Amselle
Le 26 juin 2014, à 9h30, 105 boulevard Raspail, salle 2, 75006 Paris

Jury :
 Jean-Loup Amselle, directeur d’études EHESS
 Xavier Garnier, professeur à Paris III
 Susanne Gehrmann, professeure à la Humboldt-Universität de Berlin
 Gerhard Poppenberg, professeur à l’université de Heidelberg
 Cornelia Ruhe, Professeure à l’université de Mannheim

Résumé :
Cette thèse étudie la violence symbolique de la racialisation dans ses imbrications avec des processus de signification ambivalents dans l’espace littéraire de langue française. Mes analyses mettent en évidence la manière dont certains discours littéraires et métalittéraires produisent le sens d’une différence immuable en traduisant des relations de pouvoir inégalitaires en hiérarchies à l’apparence naturelle : l’effet naturalisant de la construction d’une ligne de couleur littéraire permet la négociation des distances entre groupes dont les frontières imaginaires se conçoivent comme infranchissables et servent à contrôler un ordre littéraire racialisé.
Alors que la distinction entre une littérature ‘française’ et une littérature ‘francophone’ est inséparable du processus historique de genèse et d’autonomisation du champ littéraire national français, le lien dialectique unissant la littérature ‘française’ à son altérité trahit la logique racialisée de l’émergence d’une prétention à la ‘pureté’ esthétique spécifique de l’universalisme littéraire français. Ainsi un ensemble de stratégies de contrôle sécurisant les rapports de domination en augmentant le bénéfice symbolique et matériel d’une littérature ‘française’ imaginée comme ‘blanche’ s’est perpétué à l’intérieur du discours littéraire universaliste.
L’apparition relativement récente d’un discours multiculturaliste en France change la donne dans l’espace littéraire et d’autres logiques de reconnaissance apparaissent alors. Sous l’effet de l’ordre néolibéral des marchés littéraires, l’exaltation de la diversité culturelle, la réification et la commercialisation des identités culturelles incitent les auteur(e)s à donner dans l’exotisme et à participer à leur propre domination. Loin d’abolir les rapports de pouvoir, le paradigme multiculturaliste ne garantit pas la redistribution des ressources mais la violence symbolique de la racialisation s’adapte aux nouvelles configurations du dicible.
En partant du défi de classification littéraire posé par les textes de Marie NDiaye et Yambo Ouologuem, je déconstruis la violence symbolique qui réside dans les stratégies discursives de contrôle visant à objectiver, classifier et réifier à tout prix les textes et leurs auteurs. Concevant les dynamiques de pouvoir littéraire comme étant instables, je retrace les conflits d’intérêt et de signification pouvant se produire à l’échelle éditoriale, opposant ou alignant les stratégies de l’auteur(e) à la politique éditoriale.
J’analyse aussi la manière dont certains textes de Yambo Ouologuem et de Marie NDiaye interviennent dans un espace littéraire subjugué par des rapports de pouvoir racialisés : alors qu’Ouologuem distord dans Le Devoir de violence les représentations littéraires dominantes, il échoue à démonter les oppositions binaires qui continuent à structurer et à limiter les significations. En s’appropriant dans ses romans En Famille et Rosie Carpe des éléments de discours universaliste et multiculturaliste pour énoncer une critique subtile de leur fonctionnement hégémonique, NDiaye bat les mécanismes culturalisés de consécrations à leur propre jeu et ébranle les structures racialisées de l’espace littéraire tout en dévoilant le caractère arbitraire des systèmes de classification et d’objectivation littéraires.
Une réflexion à propos de possibles complicités néolibérales me permet de saisir comment certaines stratégies littéraires conduisent dans des impasses postcoloniales. Je démontre comment les pseudonymes Nelly Brigitta et Utto Rodolph permettent à Ouologuem de passer la ligne de couleur tout en stabilisant les frontières de genre. L’analyse du roman Trois femmes puissantes me permet de montrer que NDiaye y répond aux injonctions à l’auto-exotisation en produisant un discours allégorique qui valide les mécanismes de consécration racialisés du marché littéraire français.

Mots-clefs :
littérature française, racialisation, violence symbolique, ligne de couleur littéraire, théories du champ littéraire, théories postcoloniales, universalisme, multiculturalisme, conflits de signification, subversions littéraires, impasses postcoloniales, Yambo Ouologuem, Marie NDiaye