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Travail, syndicats, ouvriers…

Séminaire mensuel de l’IMAF-Aix, « Anthropologie et histoire : dialogues et confrontations ».
Voir le programme général du séminaire.

vendredi 12 mars 2021, de 14h à 17h,
Diffusion en ligne, par Zoom :
Lien direct : univ-amu-fr.zoom.us/j/97626625549 ?pwd= T3ZERGV6U2dTeFJabXRUZTU0ZHNVdz09
Séance : 97626625549
Code : 559125

Elena Vezzadini (CNRS, IMAF)
« “Emancipation from poverty” : syndicalisme, mouvement féminin et droits des travailleuses dans le Soudan des années 1950 »
Comment aborder l’histoire syndicale soudanaise durant la période coloniale dans une perspective de genre ? En effet, si on pense au nombre de femmes qui adhèrent aux syndicats ou bien au nombre de syndicats féminins au Soudan après la Seconde Guerre mondiale, on a rapidement fait le tour de la question : il y a seulement deux syndicats féminins et quelques centaines de femmes syndiquées. Or, ce ne sont pas les syndicats, mais le mouvement féminin qui, au Soudan, porte les questions des droits des femmes travailleuses, et qui œuvre à « genrer » les revendications syndicales.
En effet, le premier mouvement féminin, l’Union des Femmes soudanaises, est mené par des membres du parti communiste soudanais, qui s’intéressent dès sa création aux problèmes des femmes des milieux populaires, dont la grande majorité doit travailler pour gagner sa vie. À travers un prisme d’analyse marxiste, elles lisent le colonialisme comme une forme d’impérialisme capitaliste, et pensent que l’émancipation féminine est d’abord une émancipation économique de « illiteracy, backwardness, disease, unemployment, poverty and discrimination in the home and in society », selon les mots de sa leader historique, Fatima Ahmad Ibrahim (cité dans Gizouli 2017). Par ailleurs, cela distingue le mouvement soudanais d’autres mouvements féminins, comme celui en Égypte, où le combat porte d’abord sur les droits politiques des femmes (Badran 2001, Baron 2010).
En même temps, ces militantes travaillent avec les hommes syndicalistes (qu’elles épousent, parfois), et ensemble ils et elles sont acteurs et actrices du rayonnement de ces « cultures de gauche » qui caractérisent la vie intellectuelle soudanaise jusqu’à la dictature de Jafaar Nimairi dans les années 1970.
Basée sur des sources issues de la presse soudanaise des années 1950, des biographies et des essais publiés par des militantes, cette intervention cherche à penser les imbrications entre mouvements sociaux, genre et travail à travers le cas d’étude du Soudan colonial.

Guillaume Vadot (IMAF)
« L’emploi du pauvre. Travail, travailleurs et travailleuses des plantations industrielles au Cameroun : essai de construction de l’objet »
Aborder les ouvrières et ouvriers des grandes plantations camerounaises sous le prisme de l’emploi revient à souligner plusieurs enjeux qui marquent leur position au sein de l’espace social et politique. Dans un pays où moins d’un actif sur dix est salarié, quelles sont les conséquences biographiques de cette (le plus souvent brève) entrée dans le giron de l’emploi légalisé ? Alors que la grande majorité des travailleuses et travailleurs proviennent de régions rurales reculées, comment est vécu l’enrôlement dans le quotidien bureaucratisé et monétisé de l’entreprise de plantation ? Assiste-t-on à la naissance d’un groupe social original, constitué par la main-d’œuvre d’exécution à travers la rude expérience du travail et le partage d’un cadre de vie commun, et associé à d’autres mondes du salariat ? En revenant sur ces questions qui ont aiguillé l’enquête réalisée dans le cadre de la préparation de ma thèse, et en présentant quelques résultats de cette dernière, ma communication sera aussi l’occasion d’aborder la manière, ou plutôt les manières successives, dont les travailleurs de l’industrie ont été saisis comme objet de recherche en Afrique depuis à peu près un siècle.

Repères bibliographiques
 M. Badran, Feminists, Islam, and Nation : Gender and the Making of Modern Egypt, Princeton, Princeton University Press, 2001
 B. Baron, The women’s awakening in Egypt : culture, society, and the press, New Haven, Yale University Press, 2010
 S. Hale, « Sudanese Women and Revolutionary Parties : The Wing of the Patriarch », MERIP Middle East Report, n° 138, 1986, p. 25-30.
 A.A. Ibrahim, « The House That Matriarchy Built : The Sudanese Women’s Union », South Atlantic Quarterly, vol. 109, n° 1, 2010, p. 53-74.
 M. El Gizouli, « Fatima Ahmed Ibrahim (1933-2017) : emancipation as a craft », blog du Rift Valley Institute, en ligne : riftvalley.net/news/fatima-ahmed-ibrahim-1933-2017-emancipation-craft, 2017
 E. Vezzadini, « “Qu’est-ce qu’il y a de pire que cette injustice et cette oppression, oh homme ?” Mouvement féminin, presse et stratégies d’émancipation, Soudan 1950-1956 », Genre & Histoire, n° 25, 2020

 Michel Agier, Jean Copans, et Alain Morice (éd.), Classes ouvrières d’Afrique noire, Paris, Karthala, ORSTOM, 1987
 Georges Balandier, Sociologie des Brazzavilles noires, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1985 (1955)
 Frederick Cooper, Décolonisation et travail en Afrique. 1935-1960, Paris, Karthala, 2004
 Andreas Eckert et Stefano Bellucci (éd.), General Labour History of Africa : Workers, Employers and Governments, 20th-21st Centuries, Suffolk, Boydell and Brewer, 2019
 Babacar Fall, Le travail au Sénégal au XXe siècle, Paris, Karthala, 2011
 Bill Freund, « Labor and Labor History in Africa : A Review of the Literature », African Studies Review, vol. 27, n° 2, 1984
 Judith Hayem, La figure ouvrière en Afrique du Sud, Johannesburg, Afrique du Sud, France, IFAS, 2008
 Jean-Bernard Ouedraogo et Habibou Fofana, Travail et société au Burkina Faso : technique, innovation, mobilisation, Paris, L’Harmattan, 2009
 Benjamin Rubbers et Marc Poncelet, « Sociologie coloniale au Congo belge. Les études sur le Katanga industriel et urbain à la veille de l’Indépendance », Genèses, n° 99, 2015, p. 93-112
 Fabio Viti, Travail et apprentissage en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo), Paris, Karthala, 2013