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Mémoires des passés coloniaux : Perspectives sur un phénomène global du temps présent / Memories of Colonial Pasts: Perspectives on a Global Phenomenon of the Present Time

Appel à communications/Call for Papers

Organisateurs/ Convenors : Andrea Brazzoduro, Miriam Hernández Reyna, Sébastien Ledoux, Thaís Tanure, Sylvie Thénault


Argumentaire

Au cours des dernières décennies, les questions mémorielles se sont multipliées à travers le monde. De la Shoah aux dictatures latino-américaines, des génocides aux premières colonisations et à l’esclavage, des guerres mondiales à la décolonisation, différents moments de l’histoire ont ainsi été objet de débats, de nouvelles pratiques et de réflexions concernant le souvenir, l’anamnèse et l’oubli au sein d’un phénomène de « mondialisation de la mémoire ». Il s’agit d’une mémoire rendue publique à travers laquelle différents acteurs cherchent à faire reconnaître leurs revendications pour, ensuite, les transformer en politiques mémorielles. Or, cette forme de mémoire est devenue une valeur cardinale pour les démocraties contemporaines.

S’il est pertinent d’interroger le phénomène mémoriel dans sa dimension globale, il est aussi intéressant de comprendre comment les différentes mobilisations et politiques mémorielles ont circulé entre des espaces et des contextes historiques variés. De surcroît, des travaux ont montré qu’il n’existe pas une seule matrice de mémoire, mais une concomitance et des influences « multidirectionnelles » entre différentes mémoires dans un cadre national ou transnational. L’articulation entre les mémoires de la Shoah et des décolonisations et du post-esclavage en est un exemple, dont l’étude a également remis en cause la notion courante de « mémoires concurrentielles ».

L’objet de cette journée d’études est d’interroger la spécificité des mémoires de passés coloniaux liés à des contextes divers. Il s’agira notamment de comprendre quels processus sociaux et politiques sont à l’origine de ces constructions mémorielles, quels en sont les vecteurs et les entrepreneurs de mémoire, en prêtant également attention aux “régimes mémoriels”, à savoir, aux mécanismes destinés à instituer du sens au passé dans l’espace social.

Que ce soit dans le cadre de la colonisation des Amériques, de l’Afrique ou de l’Asie, de l’esclavage ou des guerres de libération, les mémoires dites anticoloniales, ou plus récemment postcoloniales, se trouvent au cœur de revendications politiques et sociales multiples qu’il s’agit de décloisonner. Une des spécificités de ces mémoires semble être le surgissement du statut de « victimes ancestrales » de la part d’acteurs sociaux qui cherchent une reconnaissance, voire exigent à ce titre réparation. Cette conception va de pair avec la formulation de politiques mémorielles qui repose sur la lecture de ces passés comme des réalités traumatiques, appelant à une gestion publique de ces mêmes passés, voire à une guérison sociale à travers l’action des pouvoirs publics. Partant, deux questions sous-jacentes peuvent se poser : que signifie se remémorer un passé parfois situé dans des temps très éloignés de la période contemporaine ? Et pourquoi ces remémorations soulèvent-elles aujourd’hui des controverses particulièrement vives dans l’espace public ? 

Par ailleurs, s’impose de nos jours pour ces passés coloniaux la question du pardon et des réparations. Récemment, en effet, plusieurs pays européens ont présenté des excuses historiques tandis que, de leur côté, d’anciens pays colonisés ont exigé des excuses et des mesures de réparations. À partir de l’observation de ce double mouvement contemporain qui réfute la possibilité d’une réparation par l’oubli, la question peut se poser de savoir pourquoi nous sommes conduits à penser que les passés coloniaux constituent des crimes qu’il faut pardonner et/ou réparer au temps présent. Cette interrogation peut être complétée par la suivante : quelles formes prennent ces demandes et actes de pardon/réparations selon qu’il s’agit de passés coloniaux plus ou moins lointains ?

De même, il est également nécessaire d’évoquer un élément structurant : les demandes de patrimonialisation liées aux passés coloniaux. Dans le champ des études patrimoniales, la recherche est passée depuis une trentaine d’années de l’étude du patrimoine à celle de la patrimonialisation, entendue comme le processus par lequel un collectif reconnaît le statut patrimonial à des objets matériels et immatériels avec une obligation de sauvegarde et de transmission, mais également de restitutions pour d’anciens pays colonisés. Le patrimoine, tel qu’il est conçu aujourd’hui, est devenu un outil d’acquisition de droits. Il s’agit donc d’identifier, dans le temps et dans l’espace, quels sont les acteurs, les motivations et les processus sociaux qui conduisent aux processus de patrimonialisation liés aux passés coloniaux et à l’esclavage.

En définitive, les enjeux soulevés par les mémoires des passés coloniaux et de l’esclavage sont également liés aux questions de la construction des identités (locales, régionales, nationales). Dans ce cadre, les récits sur les identités de groupe convoquent la mémoire comme une forme de narration plus sensible à la souffrance (récente et historique), tout en renvoyant à des visions souvent très homogènes, voire simplificatrices, de passés imaginés.

L’étude connectée de ces problématiques dépasse le cadre de la simple analyse des instrumentalisations du passé. Elle soulève également des interrogations relatives aux différentes épistémologies mobilisées et pose la question des limites des transferts d’interprétation d’expériences historiques a priori non comparables. Plus avant, la naissance, l’essor et les usages des politiques mémorielles concernant les différents passés coloniaux devront être interrogés. De la même manière, il est nécessaire de problématiser l’effet parfois limité d’un des principaux objectifs qui se donnent les promoteurs des politiques mémorielles : former des citoyens plus tolérants en s’appuyant sur des rappels au passé, leurs effets semblent parfois limités. 

Les communications qui devront être empiriquement fondés seront plus largement l’occasion d’échanger et de clarifier la notion de “mémoire(s)” devenue aujourd’hui particulièrement polysémique avec le champ d’étude des Memory Studies qui s’est considérablement étoffé au niveau international dans une approche inter/transdisciplinaire. L’enjeu est néanmoins également disciplinaire, car cette notion est encore trop souvent appréhendée, dans la discipline historienne, dans une stricte opposition particulièrement réductrice et inopérante entre histoire et mémoire. Une telle opposition a pour effet, d’une part, de produire une délégitimation de l’enquête historienne sur cet objet d’étude se manifestant notamment par une faiblesse institutionnelle de ce champ de recherche, et, d’autre, part de nourrir une certaine confusion, en impliquant un autre registre qui est celui du rôle social de l’historien.ne intervenant en tant qu’expert.e sur un objet “mémoire” statué en problème public, comme nous l’avons vu récemment pour la guerre d’Algérie.

  
Ce colloque accueillera des communications orientées sur les axes suivants :

 Réflexions générales autour des concepts de mémoire et patrimoine en contextes postcoloniaux.  Enjeux épistémologiques relatifs à l’étude des mémoires des passés coloniaux.
 Études de cas et perspectives connectées ou comparées sur des processus concrets de mise en mémoire ou de patrimonialisation.
 Revendications mémorielles et questions d’identités.
 Question du pardon et des réparations dans les politiques mémorielles relatives aux passés coloniaux et à l’esclavage.

Les propositions de communications peuvent être présentées en français et en anglais et devront être envoyées avant le 30 juin 2022 sous format d’un résumé de 250 à 500 mots maximum, accompagnées d’une biographie académique de 250 mots maximum, à l’adresse électronique suivante :
memoiresdespassescoloniaux@gmail.com

English Version


Argument:

Over the last few decades, memory issues have multiplied across the world. From the Holocaust to Latin American dictatorships, from genocides to colonization and slavery, from world wars to decolonization, different moments in history have been the subject of debates, and have prompted new practices and reflections concerning remembrance, anamnesis and forgetting, within a phenomenon of “globalization of memory”. In each case, a specific memory is turned into a public matter through which different actors seek the recognition of their claims in order to turn them into memory policies. This form of memory has become a key value for contemporary democracies.

While it is relevant to question the phenomenon of memory in its global dimension, it is also interesting to understand how the different mobilizations and politics of memory have circulated between different spaces and historical contexts. Moreover, studies have shown that there is not a single memorial matrix, but "multidirectional" influences between different memories in a national or transnational context. The entangled memories of the Holocaust, decolonization and post-slavery is an example, the study of which has also challenged the common notion of "competitive memories".

The aim of this conference is to question the specificity of memories linked to various colonial pasts in different contexts. It also intends to understand the social and political processes behind these memory constructions, to identify the vectors and the entrepreneurs of memory, while focusing on the "memory regimes", that is, on the mechanisms intended to establish the meaning of the past in the social space.

Whether linked to the colonization of the Americas, Africa or Asia, to slavery or to the wars of liberation, so-called anti-colonial or – more recently – postcolonial memories are at the heart of political and social claims whose study requires a broad perspective. All these different memories seem to have given rise to the status of "ancestral victims" shaped by individuals or groups who seek recognition and even demand reparation on this ground. This idea goes hand in hand with new memory policies that consider these pasts as traumatic, and call for their public policy or for a social healing through the action of the public authorities. Therefore, two underlying questions may arise: what does it mean to remember a past sometimes located in very distant times from the contemporary period? And why do these memories bring up such intense controversies in the public space today?

Moreover, forgiveness and reparations are now considered essential issues when dealing with these colonial pasts. Recently, several European countries have made historical apologies while former colonized countries have demanded apologies and reparations. This contemporary double movement, that refutes the possibility of reparation by forgetting, raises a question: why are we lead to think that colonial pasts constitute crimes that must be forgiven and/or repaired in the present? This question can be completed by the following one: what forms do these requests and acts of forgiveness/reparation take depending on whether the colonial pasts is more or less distant?

It is also necessary to mention another main aspect of the topic: the claims for patrimonialization related to colonial pasts. Over the past thirty years, heritage studies have shifted from the study of heritage towards that of patrimonialization, understood as the process by which a community recognizes the heritage status of material and immaterial objects, as well as an obligation to safeguard and transmit them, but also to restore them to former colonized countries. Heritage, as it is conceived today, has become a tool for acquiring rights. This conference aims at identifying, both in time and space, the actors, the motivations and the social evolutions which lead to the patrimonialization processes related to the colonial pasts and to slavery.

Ultimately, the matters raised by the memories of colonial pasts and slavery are also related to the construction of identities (local, regional, national). In this context, narratives about collective identities involve memory as a kind of recounting more sensitive to suffering (recent and historical), all the while summoning up visions of imagined pasts that are often very homogeneous, and even simplistic.

The connected study of these issues goes beyond the simple analysis of the instrumentalizations of the past. It also raises questions related to the use of different epistemologies and questions the extent to which one can use historical experiences that are a priori not comparable to build interpretations. Moreover, the rise, development and uses of memorial policies concerning different colonial pasts must be examined. In the same way, it is necessary to question the sometimes-limited effect of one of the main objectives pursued by the promoters of memory policies: to form more tolerant citizens by reminding them of the past.

Papers, which will have to be empirically grounded, will offer the opportunity to discuss and clarify the notion of "memory(ies)" which – as Memory Studies have grown into an international and inter/transdisciplinary field – has become particularly polysemic today. The issue is nevertheless also a disciplinary one, because this notion is still too often apprehended, within the historical field, in a strict, and very reductive and ineffective, opposition between history and memory. Such an opposition delegitimizes historians’ inquiry into this object of study, as evidenced by the institutional weakness of this field of research, and, on the other hand, engenders a form of confusion, by involving another register which is that of the social role of the historian acting as an expert on a “memory” object ruled as a public problem, as we have seen recently for the Algerian war.


This conference will host papers focusing on the following topics:

 General reflections around the concepts of memory and heritage in postcolonial contexts. Epistemological issues related to the study of memories of colonial pasts
 Connected or compared case studies and perspectives on concrete memory or heritage processes
 Memorial claims and identity issues
 The question of forgiveness and claims for reparation in memorial policies relating to colonial pasts and slavery.

Proposals for papers may be submitted in French and English and should be sent by June 30, 2022, in the form of an abstract of 250 to 500 words maximum, accompanied by a brief biographical statement of 250 words maximum, to the following e-mail address:
memoiresdespassescoloniaux@gmail.com


Comité Scientifique/Scientific Commitee

 Pascale Goetschel, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
 Françoise Blum, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
 Raphaëlle Branche, Université de Paris-Nanterre
 Giulia Fabbiano, Université Aix-Marseille
 Johann Michel, Université de Poitiers
 Mario Rufer, Universidad Autónoma Metropolitana, Mexique.
 Michael Rothberg (à confirmer), University of California, Los Angeles
 Myriam Cotttias, Centre National de la Recherche Scientifique
 Samia Ferhat, Université Paris-Nanterre
 Arnaud Nanta, Centre National de la Recherche Scientifique

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