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Violences d’un autre genre. Ethnographier les mémoires criminelles des prisonnières génocidaires du Rwanda

Soutenance de thèse de Violaine Baraduc
Directeur de thèse : Jean Paul Colleyn, directeur d’études à l’EHESS (IMAF)
En codirection avec Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’EHESS (CESPRA)
Le 28 octobre 2022, à 14h, EHESS, salles BS1_28 + BS1_05 (sous-sol), 54 boulevard Raspail, 75006 Paris


Jury de thèse :

 Stéphane Audoin-Rouzeau (codirecteur de thèse)
 Jean Paul Colleyn (directeur de thèse)
 Christine Deslaurier, chargée de recherche à l’IRD
 Michela Fusaschi (rapporteure), professeure à l’université Roma tre
 Sandrine Lefranc (rapporteure), directrice de recherche au CNRS
 Michel Naepels, directeur de recherche au CNRS, directeur d’études à l’EHESS

Membre invitée :
 Elisabeth Claverie, directrice de recherche émérite au CNRS


Résumé de thèse :

De 1994 au début des années 2000, le périmètre du génocide perpétré contre les Tutsi n’a pas fait l’objet d’une définition claire. Le Rwanda fait alors face à d’énormes difficultés, à commencer par une crise carcérale d’ampleur, qui impose de ne pas surcharger davantage les prisons. Les femmes, dont la participation au génocide est considérée jusque-là comme moins grave que celle des hommes, sont donc maintenues en majorité en dehors des espaces pénitentiaire et judiciaire. Les démarches entamées par les autorités pour préparer le jugement à grande échelle des génocidaires vont modifier en profondeur la représentation des massacres en incluant de nouveaux crimes et criminels : les procès Gacaca démarrés en juillet 2006 sur l’ensemble du territoire contribueront à la banalisation de la violence génocidaire féminine. Ils seront clôturés en juin 2012, soit quelques mois après le début d’une série d’enquêtes entreprises pour cette thèse d’anthropologie sociale. Ethnographique, celle-ci propose une étude de la participation des femmes au génocide et des conditions d’élaboration d’une mémoire de cet événement dans l’espace carcéral. Faisant état des modalités de la violence génocidaire féminine, cette recherche présente quelques-uns des programmes ayant pris le relais des juridictions Gacaca pour encourager les aveux et les demandes de pardon des exécutant·e·s des violences, chargés de préparer la coexistence dans le pays de toutes les composantes de la nouvelle société postgénocide. Elle pose aussi la question des circonstances du passage à l’acte à travers l’expérience de deux femmes hutu autrices de crimes infanticides en 1994. Deux monographies leur sont consacrées et fournissent un cadre permettant de réfléchir au retournement des liens affectifs pendant le génocide, ainsi qu’à ce qui distingue les violences féminines des violences masculines. Cette thèse est par ailleurs réflexive. Elle interroge les outils épistémologiques et méthodologiques dont disposent les sciences sociales pour étudier la violence extrême à partir des récits façonnés par ses auteurs, ici ses autrices. Ayant reposé sur la réalisation d’un film documentaire sorti en 2014, intitulé À mots couverts, elle analyse les résultats et les limites de ce dispositif imaginé pour faciliter l’accès à des femmes alors peu enclines à livrer leur témoignage sur le génocide. Les enquêtes menées en prison, dans les familles et dans les archives Gacaca font apparaître les effets des politiques judiciaire et mémorielle du Rwanda sur la fabrication d’une parole coupable de la part des femmes condamnées pour leur participation aux massacres. L’objet de cette étude est donc autant la violence commise par les femmes en 1994 que la production d’un discours scientifique, coupable ou politique sur cette violence.

Mots clefs :
Violence féminine ; Génocide des Tutsi ; Rwanda ; Mémoire ; justice Gacaca ; Prison ; Infanticide ; Ethnographie ; Cinéma documentaire